VIVRE DANS L'ESPACE - La maison Hourré, Pyrénées magazine N.191 -



Il est de ces professions qui ne vont pas sans une certaine idée de challenge. Comment en effet exercer le métier d’architecte avec intégrité, en incluant le sens de l’intérêt général, sans relever quelques défis : construction ou rénovation, type d’énergie, situation environnementale, etc. Ces défis, le collectif Encore a bien décidé de les relever, et sa démarche trouve son aboutissement dans la maison Hourré, fruit de sa réflexion. Par Jean-Jacques Ader

Situé dans le Béarn, le village de Labastide-Villefranche compte plusieurs beautés locales à son patrimoine, comme la Tour carrée, ancienne tour de guet du xive siècle dont une des faces se rend désormais utile en servant de fronton de pelote basque. Le château Bijou, sur les hauteurs du hameau, abrite un cloître roman reconstruit patiemment, pierre à pierre, selon son modèle du XIIe siècle. Mais, depuis 2015, il faut aussi compter avec la maison Hourré, dissimulée, elle, aux regards des touristes, et qui bénéficie d’une belle vue sur la Basse-Navarre. Elle se découvre en se rendant chez le collectif d’architectes Encore, animé par Anna et Julien Chavepayre, associés à Cyrille Marlin et David Pradel.

La bâtisse, âgée de trois siècles et toute en longueur, est mi-béarnaise mi-basque. L’idée de départ était de ne modifier que le strict nécessaire, d’utiliser tout ce qui pouvait l’être, d’accepter ce que proposait la maison. Ses vieux murs de pierre, pour leurs qualités de solidité et d’isolation. Un bon tiers du toit, qui s’était effondré, n’a pas été remplacé. C’est une double verrière qui a pris sa place, inondant de lumière l’étage et le rez-de-chaussée, et offrant un magnifique diorama sur le ciel ou les oiseaux de passage. Idem pour une grande partie du plancher absent au premier étage.




Le solide filet de corde qui y est tendu fait maintenant ressembler l’étage à unimmense pont de catamaran. Mais le parti pris le plus original, et pourtant si évident, réside sans doute dans la multiplicité d’ouvertures et de baies vitrées, qui feraient abandonner l’idée de dehors et de dedans. La maison est dans le paysage, et réciproquement. La pièce principale du rez-de-chaussée devient un lieu apaisant de contemplation bucolique, sans rupture avec la végétation environnante ; au premier, un véritable réceptacle de luminothérapie vous attend. Poussée à son maximum, cette idée se retrouve concrétisée dans la salle de bains de l’étage, entièrement ouverte sur l’extérieur, sans plafond ni toit ! Autre particularité, aucune pièce n’a de fonction assignée. Les chambres se réinventent en salles de jeux et la salle de bains côtoie un accueillant salon de lecture.


“Une bonne architecture est celle qui exauce vos rêves. Une très bonne architecture est celle qui exauce les rêves que vous ne connaissiez pas.” Ces mots sont ceux du président du jury du prix Kasper Salin lors de sa remise à Anna Chavepayre en 2019, pour la maison-paysage Hamra. Ils résument à eux seuls la philosophie du travail de la deuxième femme distinguée par la prestigieuse institution suédoise. Son prix est d’autant plus mérité qu’il récompense d’habitude de gros bâtiments institutionnels, et rarement des projets modestes réalisés pour des particuliers (une artiste, en l’occurrence, qui désirait une maison secondaire qui lui serve aussi d’atelier). Anna, ancienne élève de l’école d’architecture de Stockholm formée chez Rem Koolhaas et Jean Nouvel, est installée en plein Béarn avec mari et enfants, et milite pour une architecture respectueuse et économe, expérimentale sans être dénuée de poésie.

Elle aime comparer l’architecture à une plante, en précisant qu’il ne faut pas seulement se préoccuper de son esthétique et de la beauté des fleurs qui vont y pousser. Dans l’exercice de son métier, elle entend prendre en compte toutes ses ramifications : les feuilles, les branches, le tronc, les racines et la terre autour.


C'est un tout qu’on ne peut pas fragmenter, une vision globale. C’est dans cet esprit que l’architecte et le collectif Encore travaillent tous les jours. Pour eux, habiter le paysage ne va pas sans repenser une architecture respectueuse des enjeux environnementaux et humains.

Retrouver l’harmonie

“Il faut maintenir les liens dont tout écosystème est constitué. En construction, il y a trop de gens spécialisés qui ne sont pas en relation entre eux. Chaque spécialiste travaille sur son ordinateur virtuellement, à une échelle différente des autres et, concentrés sur des détails abstraits, ils restent extérieurs à la vision générale d’un plan. L’architecte doit préserver son pouvoir d’harmoniser toutes les opérations, et d’en assumer la responsabilité. Et dans ce monde qui change si rapidement, c’est un travail de tous les jours.” Anna, qui a enseigné en Suède, obligeait ainsi ses élèves à dessiner à la main, sur des plans qui offraient l’avantage d’avoir une vision générale du travail.

En rénovation, on essaie souvent de limiter la part d’inconnu qui constitue pourtant la réalité du terrain. Une fois les données virtuelles des logiciels transposées sur ce terrain, l’inconnu et la réalité refont vite surface, cela donne des constructions qui ne sont pas fiables. Pour Anna Chavepayre et Encore, la destruction du patrimoine local pour bâtir du neuf est une hérésie : “Arrêtons de construire des lotissements.” En respectant les bâtiments existants, le collectif participe au redéploiement de la ruralité. Plusieurs projets ont été menés à proximité de Hourré, comme la conversion d’une ancienne auberge, Chez Camy, à Carresse-Cassaber,
ou un restaurant cave à vins, La Légende, à Sauveterre-de-Béarn.

D’autres sont en cours de réalisation ou en développement : la maison des associations, à Buros, ou le château Daguerre, à Tardets-Sorholus. Penser global, agir local, donc. Mais une évidence doit être rappelée : ce n’est pas tant d’environnement qu’il faut parler, mais de milieu. Ce mot rappelle que l’être humain n’est pas seulement spectateur de ce qui l’entoure,
il en est l’acteur principal.

JJA


Commentaires