Bertrand & Francesca

Publié en Février dernier chez P.O.L, Francesca Woodman retrace dans un style d’une élégante introspection, autant la trajectoire éclair de la photographe américaine que l’obsession passionnelle de l’auteur, et de son souhait de questionner l’éblouissement qui survint à sa première vision des photographies de la jeune femme. Rencontre. 

Quelle est l’origine de votre passion pour Francesca Woodman ?

BS : Après avoir fini mes études, comme tout le monde j’avais besoin de gagner ma vie, et on m’a proposé un poste au sein même du lieu de la première expo de Francesca Woodman en France, à la Fondation Cartier en 1998, au service édition. Ce fut donc mon premier choc, même si je baignais déjà dans l’univers des arts visuels grâce à mon père, entre autre, historien et théoricien de l’image.

Vous avez pourtant mis une vingtaine d’années avant d’écrire sur ce saisissement ?

BS : Oui, c’est vrai que c’était presque un choc et je me suis aussitôt senti un peu enseveli par tout ce qui entourait cette artiste, le côté pathétique, dramatique, extrême et l’auréole d’un génie que l’on doit accepter sans vraiment savoir quoi faire de tout ça. Même avec une culture de l’image je n’avais pas forcément les clés photographiques pour mesurer l’originalité et la qualité de ce travail par rapport à la majorité de la production générale.

© DR

Recherchiez-vous la fonction de ses photographies ?

BS : Ça a l’air bête, mais on peut tomber amoureux d’une image et surtout d’un geste, même si c’est un peu particulier quand ça concerne quelqu’un qui est mort il y a plus de quarante ans.

Il a sûrement fallu que quelque chose murisse en moi, avec le temps, j’ai moi-même fait des images, et un jour je suis tombé sur les photos de Francesca Woodman prises par un jeune prof de l’époque, à l’école d’art de Providence. Là, elle n’était pas masquée, elle était simplement posée dans son décor habituel, cela révélait un peu les coulisses de ce décor tout en étant ce même décor ; j’ai donc pris conscience du sens de sa démarche, j’ai réalisé que ses photographies n’étaient pas des autoportraits, et l’essence de son travail m’est apparue, en même temps que de véritables sentiments pour elle, qui ont explosés en moi.

La fin tragique de Francesca Woodman vient-elle éclairer son œuvre ou du moins influencer sa lecture ?

BS : Je dirais que ça a assombri son œuvre, de toute façon on a pas le choix avec elle, c’est impossible de regarder son travail sans déjà savoir qu’elle s’est suicidée. C’est presque la première information qu’on a, avec sa carrière post mortem, et on aimerait pouvoir s’en passer mais c’est loin d’être évident et disons qu’il faut faire avec. C’est difficile de ne pas parler de disparition quand on voit ses images, mais je pense que les photos tiennent aussi sans ça.

Y a t-il quelque chose de particulier à écrire sur la photographie ?

BS : Je crois que c’est d’abord témoigner de sa passion pour certaines images, d’un sentiment, et il y a à mon avis un rapport très profond entre la photographie et l’écriture, ne serait-ce que dans le mot qui veut dire écrire tout de même ; même si moi en tant qu’auteur j’ai plus besoin de l’image pour écrire qu’elle a besoin du texte. Et si on regarde l’histoire de la photographie, qui sont les gens qui ont écrit dessus ? ce sont des écrivains. Les grands textes qui parlent de photographie ont été écrits par des gens qui font de la littérature. Benjamin, Barthes, Sontag sont des gens de lettres et pas des gens d’images, et, plus que les philosophes ou les historiens d’art, ce sont eux qui ont donné les principales clés pour la lecture des images. Ce sont des écrivains penseurs, certes, mais qui sont d’abord intéressés par la littérature, et trouvent un intérêt profond à ce dialogue avec l’image. Ce n’est pas que la photographie donne envie d’écrire, mais on y trouve un rapport au temps qui peut ressembler à celui produit par l’écriture, même si la forme est très différente.

 

Francesca Woodman un livre de Bertrand Schefer (P.O.L 80 pages 15€)

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