Plossu par Plossu - L'Espagne en Fresson

Le célèbre photographe randonneur présente une Espagne inédite à la Galerie Ombres Blanches de Toulouse. Ici, il nous parle de lui, des choses et des gens qu'il aime.
Bernard Plossu

« L‘Espagne est comme une deuxième patrie pour moi » nous dit ce grand voyageur, plutôt connu pour son travail noir & blanc, et qui aussi, contemple souvent le monde en couleur. Adepte depuis des années du procédé de tirage photo Fresson du nom de la famille qui l’a mis au point et qui procure des qualités de couleurs et de longévité inégalées. Bernard Plossu nous propose pas moins de cent dix images dans un nouvel espace de la librairie Ombres Blanches Rencontre.

 Jean-Jacques Ader : Vous êtes un photographe de livres plutôt que d’expositions, vous êtes d’accord ?
Bernard Plossu : Oui c’est vrai. Habituellement les livres accompagnent les expos et moi c’est le contraire, les expos doivent accompagner le livre, vraiment c’est clair. Pour les livres je sais ce que j’ai à dire. Pour faire une maquette, le photographe est le mieux placé pour savoir quelle photo va avec quelle photo, trouver la magie dans les vis-à-vis, comme un peintre sait quand il faut mettre du vert ou du rouge. Et j’aime les petits livres. Souvent la presse parle de moi à travers les gros ouvrages mais jamais pour les petits. Pourtant je préfère les petits parce que ce sont des manifestes.

JJA : Et qu’est-ce qui vous donne l’envie d’exposer ?
BP : C’est une manière de communiquer avec les gens. Mais même si une photo n’est que poétique, le fait de la montrer c’est politique ; le choix de la montrer est un geste politique qu’on le veuille ou non.

JJA : Justement, quand on regarde vos images portées par un regard contemplatif alors que le monde est en perpétuelle agitation, c’est presque subversif non ?
BP : C’est contemplatif oui, c’est vrai. Ce n’est peut-être pas par hasard. Moi dans ma génération on était à fond Krishnamurti (penseur indien d’une éducation alternative) Le Zen tout ça quoi. Avoir lu tout ces livres je pense que ça m’a marqué. Surtout, il ne faut pas que les photos tendent vers l’esthétisme, le pire qu’on puisse en dire c’est « on dirait un tableau » c’est une erreur, ce n’est pas la même démarche.

JJA : Pourtant, quand vous faites du Fresson vous recherchez la pictorialité non ?
BP : Ce n’est pas le même contenu, beaucoup de gens comparent les Fresson au pictorialisme mais ça ne fait que ressembler, ce n’est pas la même chose. Jeanne Fouchet-Nahas en parle très bien : « Ce n’est pas pour des raisons pictorialistes que Plossu aime tant ce procédé mais pour des raisons poétiques. On a parfois comparé, à tort, les tirages Fresson aux autochromes d’Heinrich Khün un des grands du pictorialisme du XXe siècle, dont la quête était une perfection formelle qui n’a rien à voir avec Plossu, qui lui, se garde bien de faire du beau ». (Bernard Plossu tirages Fresson, Textuel 2020)

JJA : C’est en découvrant les Fresson que vous avez commencé à faire des tirages couleurs ?
BP : Oui, enfin pas tout à fait. Kodak m’avait offert leur petit appareil Stretch panoramic et on avait fait des grands tirages classiques qui ont décoré les salons de chez Kodak, et ensuite avec ces négatifs couleurs j’ai fait des tirages noir et blanc de photos de voyages. J’ai rencontré les trois générations des Fresson, le grand-père, le père et maintenant le fils, qui d’ailleurs compte arrêter l’activité. C’est le dernier et il n’a pas de descendance. Il faudrait qu’un jeune arrive à le convaincre de transmettre, car lui seul connaît le procédé et possède le matériel et le savoir-faire. C’était des sacrés caractères aussi, tous les trois. Un jour on m’appelle pour me proposer de recevoir la fameuse médaille de Chevalier des arts & lettres. Je refuse illico, le gars au téléphone éclate de rire et me demande à qui la remettre ? Je lui réponds : aux Fresson ! Quelque temps après j’appelle Michel le père, et je lui dit : ils vous ont appelés ? – Oui, oui, on a refusé…
Seulement, si leur technique s’arrête, tous ces tirages vont prendre de la valeur, et ça va intéresser les spéculateurs. Récemment quelqu’un a voulu m’en acheter 25, j’ai bien compris quelle était l’intention… Donc je demande aux galeries de ne vendre mes photos qu’aux gens qui les aime, et en petite quantité, 4 ou 5.

Bernard Plossu

JJA : Vous faites donc de la couleur depuis longtemps, en même temps que le noir et blanc ?
BP : Alors, je travaille au Nikkormat et au 50mm. Étant plus jeune j’avais deux boitiers avec moi, l’un en noir et blanc et l’autre en couleur. Sur 10 pellicules, je fais en général 8 noir et blanc pour 2 en couleurs. Maintenant c’est plus compliqué, ces boitiers sont assez lourds , je n’ai plus qu’un appareil ; donc j’alterne en changeant les pellicules suivant le moment.

JJA : Vous êtes plutôt allergique à la technologie.
BP : Oui, ça ne m’intéresse pas trop. Je connais le minimum de technique qu’il y a à savoir pour faire des photos, je n’ai même plus besoin de cellule. Je fais ça au doigté.

JJA : Vous dites que vous êtes intéressé par l ‘intensité de la banalité, mais elle est partout la banalité, comment la reconnaître ?
BP : Ah… chacun voit la sienne. Je ne la cherche pas forcément mais, tout d’un coup je vois une porte de garage qui me plait, elle n’est pas spécialement belle mais je la prend en photo. La photographie c’est ce qui permet de prendre en photo une porte de garage. Voilà une nouvelle définition de la photographie (rires) En fait, ça saute aux yeux la banalité, elle te tombe dessus.

JJA : On en revient à la contemplation.
BP : C’est juste ; au bout d’un moment tu ne peux plus « ne pas voir ». Même sans appareil je suis en vision photo, tout le temps, du réveil au coucher.

JJA : Ce n’est pas épuisant ?
BP : Pas du tout, c’est toujours intéressant. Comme on le disait, ça permet de vivre intensément, on ne s’ennuie pas une seconde. Mais parfois, s’intéresser à la banalité des choses ça peut-être mal interprété. Quand je voyage maintenant j’ai souvent une carte ou un plan à la main, pour ressembler à un touriste, parce que j’ai déjà été interpellé par la police, aux Etats-Unis et au Portugal « Mais qu’est-ce que vous faites ? » Nous sommes dans une époque où tout le monde se méfie.

JJA : Dans un documentaire vous dites qu’il y a l’épaisseur du temps dans le grain d’une photo.
BP : Oui, quoi dire de mieux… C’est aussi le côté mat, le poids du temps. Ce n’est pas facile d’en parler.

JJA : Donc, non au numérique ?
BP : En numérique on fait vite 600, 800 photos sur une carte mémoire, et moi je crois qu’il faut de la rigueur pour créer. On ne peut pas faire 600 photos et en choisir 2, c’est malsain.

JJA : Alors, à quoi vous sert la photographie ?
BP : À partager. Ça me sert à assouvir un besoin, à créer des choses avec des lignes de forces. Il n’y a aucune philosophie là-dedans, c’est purement un plaisir visuel.

JJA : Vous faites souvent référence à la peinture aussi.
BP : J’aime beaucoup la peinture, spécialement la peinture italienne, et la littérature italienne. J’ai un projet d’expo avec uniquement des photos d’Italie, qui s’appellerait « Hommage à l’Italie », ma bibliothèque à la maison est aux trois-quarts italienne vous savez.

JJA : Vous avez d’autres projets ?
BP : Oui, avec Marcelo Fuentes un peintre espagnol que j’aime beaucoup, cet automne au musée d’Olula dans le Sud de l’Espagne. Et puis en Février prochain, les éditions Marval-RueVisconti vont sortir « Entre les livres » le livre de mes livres ; 300 pages avec tous les bouquins que j’ai fait dans ma vie, un livre qui compte beaucoup pour moi.




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