LE CHÂTEAU D'EAU, une aventure toulousaine




À quelques semaines de l’intronisation de 
Christian Caujolle à la tête du Château d’Eau de Toulouse, 
Jean-Jacques Ader revient sur l’histoire de ce mythique endroit fondé en 1974 par Jean Dieuzaide.

Ce colimaçon étroit et abrupt qui mène à l’étage, tel un intestin grimpant dans le ventre de la tour, guidait les pas des aspirants photographes toulousains. Ascension stressante, car c’était le maître du château en personne qui, à l’époque, les attendait pour examiner leur portfolio. Fondateur du lieu en 1974, Jean Dieuzaide (1921-2003) n’avait pas la réputation d’être facile, et peu de jeunes photographes locaux trouvaient leur place sur les briques foraines de l’édifice. En revanche, son engagement passionné et son influence assuraient à ce lieu atypique un rayonnement bien au delà des limites régionales, à l’instar des premières Rencontres d’Arles auxquelles Dieuzaide pris part, quatre ans avant l’ouverture de sa galerie toulousaine. Une programmation unique de ce que la photographie internationale était constituée, se retrouvera sur ses cimaises.

Ce véritable château d’eau, qui alimentait jadis les fontaines de Toulouse grâce à l’eau de la Garonne toute proche, participe depuis presque quarante sept ans à élever au rang d’art la discipline photographique qui, jusque là, manquait cruellement de considération.
Pour preuve, le courrier que reçut Dieuzaide en 1968 qui l’invitait à l’exposition de Robert Doisneau à la Bibliothèque Nationale de Paris. Tout enthousiaste qu’il était de fêter le travail de son ami Robert, quelle ne fut pas sa déception en découvrant l’installation nichée au niveau d’un palier, entre deux étages. Les tirages de celui qui était déjà présent sur les cimaises des musées de Londres ou de New-York, étaient tout bonnement punaisés sur du contre-plaqué, lui-même fixé par du fil de fer…
A force d’acharnement, Yan – pseudonyme pris par le photographe en début de carrière pour signer le portrait du Général De Gaule à la libération de Toulouse en 1944 – qui partageait le lieu jusque là avec le musée des Augustins, réussit à ce que la ville lui confie définitivement les clés de ce bâtiment désaffecté, qui ne servait à l’époque qu’à stocker des outils et du matériel municipal. Il offre alors en Avril de l’année 1974 une exposition digne de ce nom à Doisneau qui, échaudé par ses précédentes déconvenues, n’accepte qu’au nom de l’amitié qui lie les deux hommes. Le chantre de la vie Parisienne inaugure donc l’ouverture de la première galerie permanente dédiée à la photographie, et c’est dans le même temps sa première grande exposition en France.



La profusion des genres et la variété des styles représentés lors des nombreux vernissages tiennent, sans doute, à la curiosité et aux nombreuses disciplines photographiques que Dieuzaide a abordées : presse, architecture, portraits ou expériences artistiques. Il couvre les matchs de rugby régionaux, n’hésite pas à jouer au funambule place du Capitole pour immortaliser des mariés eux-mêmes perchés sur un fil, jusqu’à suivre le premier décollage du Concorde en 69 à Toulouse-Blagnac. Les matières, existantes dans la nature, comme le brai (dérivé de la houille) lui donnent l’occasion de réaliser des recherches formelles abstraites et poétiques, monopolisant ses grandes connaissances techniques, et son regard appliqué. Il va portraiturer Salvador Dalí sur la plage de Cadaqués et non à son domicile, tout proche car, il le découvrira plus tard, l’artiste Catalan travaille sur un tableau inspiré d’une photo du photographe toulousain. Le photographe gascon militera aussi toute sa vie pour un traitement traditionnel des images, chimie et papiers barytés ; l’arrivée de papiers plastiques et de nouveaux produits conduisant à une perte de qualité générale. Que penserait-il aujourd’hui du numérique …

Dès 1975, les expositions photographiques s’enchainent au rythme d’une par mois. D’une situation géographique excentrée, une fois enjambé le Pont Neuf, c’est sans faiblir que le Château d’eau attire les toulousains sur la rive gauche de la Garonne. Cet espace à l’architecture unique deviendra un des emblèmes culturels de la ville rose, aux côtés de l’orchestre du Capitole et de la Cinémathèque de Toulouse, déjà dotée d’une riche collection de films et d’affiches.
Les photographes de Magnum, les modernes Américains, les grands noms Européens, Sarah Moon, Giacomelli, Depardon, Agnès Varda, Clergue et Lartigue, Koudelka, la photographie japonaise ou chinoise ainsi que les lauréats de l’école de photo de la ville (ETPA) et bien d’autres, figurent parmi les 547 expos réalisées à ce jour, et dont 350 feront l’objet d’une édition monographique.

En 1981 l’association PACE (Photographie Au Château d’Eau) est créée, elle assure la gestion du lieu et, en 1982, la création du centre de documentation qui ouvrira au public en 84 sous la houlette de Dominique Roux, prolonge la volonté pédagogique en comptant à ce jour plus de 14000 ouvrages disponibles.
En 1995, au tournant des vingt ans de la galerie, Jean Dieuzaide, décide de se retirer de la direction, et c’est une douzaine de candidats qui entrent en lice. Un en particulier aura secrètement sa préférence, son fils Michel. Michel Dieuzaide, photographe et documentariste, prendra donc la suite de son père, ouvrant sensiblement les portes de la galerie à des artistes régionaux, ainsi qu’à des collections comme celle du musée d’art contemporain des Abattoirs nouvellement ouvert à proximité. 2001 verra l’arrivée de Jean-Marc Lacabe aux manettes, entraînant la galerie dans une pluralité contemporaine que la multiplicité actuelle des images induisait. Yan, quant à lui, disparaîtra en 2003.



La galerie étant toujours financée par la ville, et, suite à l’apparition de difficultés de gestion en 2014 sous le mandat de Pierre Cohen, un audit financier est lancé en 2017 par la municipalité suivante (et actuelle) celle de Jean-Luc Moudenc, qui confirmera la fragilité financière des comptes de l’association. La direction, elle, déplorera que le soutien de la ville devienne proportionnellement inverse à la fréquentation du Château d’eau. 2018 voit donc arriver la remise en question par le service culture de la ville de l’équipe PACE, gérant l’établissement depuis les années 80 et de son directeur. La décision est prise, après plusieurs reports en conseil municipal et une communication difficile entre les différentes parties, d’un passage en régie municipale, la galerie rejoignant de fait les musées toulousains, au 1er janvier 2020.

Après une année culturelle nationale plutôt erratique, un nouveau directeur(trice) en charge du management et du fonctionnement général devrait entrer en fonction rapidement ; et Christian Caujolle, personnalité reconnue, fondateur de l’agence VU et commissaire d’expos respecté au niveau international, devient le conseiller artistique dès Janvier 2021. Il est en terrain connu, lui l’ancien étudiant Ariègeois qui découvrit sa première exposition dans cette même galerie et décida dès lors de consacrer sa vie à l’image. Outre sa nomination, 2021 sera aussi l’année du centenaire de la naissance de Jean Dieuzaide. Ces derniers évènements, reliés à l’acquisition par la ville de son fonds photographique en 2016 (500000 négatifs, 3000 livres photo) qui devrait trouver sa place sous forme d’expos permanentes dans une nouvelle aile du Château d’eau, procureront espérons-le après une période de turbulences, une dynamique bénéfique et respectueuse de la ligne artistique instaurée par le maître du château.

Jean-Jacques Ader


Commentaires